top of page
Pas encore de mots-clés.

PAR TAGS : 

POST RÉCENTS : 

ME SUIVRE : 

  • Facebook Clean Grey

Etre parent après l'abus

Vous allez rire !

Quoi ?

Douteriez-vous de ma capacité à m’amuser et à rayonner de joie de vivre ?

Loin de moi l’idée de n’être qu’un loukoum liquéfié sur le mur des lamentations ! Certes je n’ai pas avalé de clown mais la légèreté et le rire ne me sont pas étrangers non plus.

Bref.

Je n’ai jamais voulu d’enfant.

Enfin si.

Mais non.

Avec les vers de terre, la reproduction de la maltraitance sexuelle et psychologique a toujours incarné ma plus grande terreur.

Le risque m’obnubilait et me rebutait.

En thérapie de groupe, mon cœur a tant sangloté d’entendre des personnes abusées en abuser d’autres, ou souffrir de pensées intrusives qui s’immisçaient dans leur esprit obsessionnel, grouillant comme des vipères affamées, dévorant tout leur être : la phobie de passer devant une école, l’impossibilité d’inviter un petit neveu, le refus de fréquenter les supermarchés par peur irrationnelle, et non par envie, de se transformer en abuseur.

« Pourtant, je ne ressens aucun désir sexuel, je suis juste terrifié à l’idée de faire du mal à un petit et de ne plus m’en souvenir après. Alors je demande à ma femme de m’enfermer à clé, pour être sûr », dit un homme sexuellement abusé, dont l’amnésie a longtemps été la compagne

« Je suis obligée de quitter la pièce quand la petite fille de mon compagnon est là. Je me vois avoir des relations sexuelles avec elle. Je me dégoûte », murmure une femme d’une voix à peine audible, masquée par la honte et la répulsion.

A leur place, je me serais flingué.

Vous allez rire.

Je suis père de deux merveilleuses jeunes filles.

Des filles, en plus !!

Et des chipies, vous pouvez me croire !

Quel père suis-je ?

J’accorde une attention toute particulière – une obsession ? – aux limites intimes. Ma vigilance se focalise sur les verrous, les portes bien fermées, le respect du corps et de l’intimité de chacun.

« T’as un balai coincé dans le derrière, papa ! » me jettent régulièrement mes filles en gloussant.

Oui, je le reconnais,

Si vous me cherchez, vous me trouverez dans le Guinness des records, à la rubrique Pudeur !

Mais qu’importe, mieux vaut trop que pas assez. Le « pas assez », je l’ai bien connu, et vous voyez le résultat.

Mes filles, outrées, m’accusent épisodiquement de snober leur vie privée. Mon absence absolue de questionnement constituerait la preuve impitoyable de mon désintérêt. Leurs témoignages sont accablants. Je plaide donc coupable. En revanche, j’implore la clémence de la cour et la prie d’examiner les circonstances atténuantes.

Ma porte est toujours entr’ouverte, suffisamment pour laisser à mes filles l’opportunité de déverser avec parcimonie un élégant filet d’informations, pas trop pour éviter le flot dévastateurs de détails trop intimes.

  • Mais qu’est-ce que c’est, papa, un détail trop intime ?!, s’esclaffe mon aînée en agitant ses mains comme une italienne et en roulant ses yeux hébétés. Te dire que je ne vais pas à la piscine parce que Pocahontas a débarqué c’est DEJA trop intime pour toi !!

  • Pocahontas ?

  • Les Peaux Rouges, papa, mes règles ! articule t’elle exagérément comme quand elle s’adresse à son chien complètement demeuré.

  • Haan mais c’est raciste ça ! On ne dit pas Noir ni Peaux Rouges, on dit « personne de couleur » ou « Amérindiens ». D’ailleurs, on ne dit rien du tout. Qu’est-ce que c’est que cette manie d’identifier les gens par la couleur de leur peau ?

Madame le Juge, mes filles, ici présentes à la barre des témoins, prétendent que parfois, je ne les écoute pas.

C’est bien mon intention, je l’avoue. Détourner la conversation m’attire leurs foudres mais m’épargne en même temps l’embarras de répondre à des questions auxquelles je suis bien incapable de répondre.

J’ignore ce qu’est un « détail trop intime ».

Ma Sainte-Mère qui exhibe tous les matins son cul et ses seins dans tout l’appartement, clamant haut et fort les slogans des seventies « le corps c’est naturel », « le sexe n’est pas tabou » ?

Mes parents m’offrant assidûment en spectacle leurs ébats amoureux ou discutant de positions sexuelles devant moi, petit garçon âgé de onze ans ? Les magazines pornos dans la vitrine du salon, à hauteur de mains d’enfant ? Ma Sainte-Mère qui persiffle et vomit ses immondices au sujet de la minable et désolante sexualité de mon père ? Ou lorsqu’elle me raconte combien la sodomie est satisfaisante avec son amant qui, précisons-le, a le même âge que moi ? Ou encore quand elle se gratte entre les jambes et porte la main à son nez pour humer la délicieuse odeur de son sexe ?

Qu’est-ce qu’un « détail trop intime » ?

A cette simple évocation, je me sens déjà nauséeux.

Un jour, ma cadette me lance joyeusement (attention, l’histoire qui va suivre peut heurter la sensibilité des plus jeunes) :

  • Papa, le premier garçon qui m’a embrassée avait le goût de pâtes au poulet. C’est marrant, hein ?

  • Ohlà ma chérie, trop d’informations.

  • Mais papa ! Des pâtes au poulet !!

Un voile de déception envahit sur son joli petit visage plein d’espoir.

Voilà une réponse à la question. Les pâtes au poulet, c’est un détail trop intime !

La nausée, le dégoût et l’effroi ont dérobé la télécommande de mon curseur du « trop intime ». Je ne contrôle rien.

Personne ne nous informe des limites de nos ressentis lorsque nous devenons parents.

Qu’en est-il de la sensualité du peau à peau ? Qu’est-il normal de ressentir ? Où commence la perversion dans la sensation corporelle du câlin avec l’enfant ?

Quelle est la bonne distance ?

Ma toute petite fille m’embrasse sur la bouche. Je la repousse, mal à l’aise et lui explique l’interdit de l’inceste, et en même temps, je ne peux nier ce plaisir corporel présent. Mon corps a apprécié.

Suis-je un pervers ?

  • Tu sais papa, me lâche mon aînée sans préavis pendant une discussion sur la cuisson des haricots verts, c’est normal de ressentir du désir pour ses filles, surtout quand elles sont belles comme nous ! Ce qui compte, c’est de ne pas passer à l’acte.

Depuis quand ma fille était-elle devenue plus mature et plus avisée que son père ?

Quelque chose s’est détendu en moi à cet instant.

J’étais si tenaillé par la terreur de reproduire l’abus que je me suis lamentablement vautré dans l’excès inverse.

Mais est-ce grave ?

Mon père, comme tous les pères, détenait la mission capitale d’opérer un processus de différenciation entre ma mère et moi, afin que je me construise, avec ma propre personnalité. N’est-ce pas son rôle d’ailleurs de couper le cordon ombilical, symbole de séparation ? Au lieu de cela, mon père m’a laissé végéter, collé aux désirs vicieux maternels, enterré vivant dans cette relation symbiotique meurtrière.

L’identification au père construit un homme. Pour ce faire, le père doit prendre sa place. Le mien était une chimère pusillanime, un avorton insignifiant.

Alors dans mes fantasmes, j’ai bâti une représentation illusoire et idéalisée du père. Un amour sans faille, toujours désintéressé, inconditionnel, structurant, contenant, infiniment bienveillant, indéfectible. Me projetant dans mon éventuelle propre paternité, j’étais englué dans une divergence inextricable, entre cet idéal inatteignable et ma peur de reproduire son schéma de vie, être un pauvre looser de père. Ou pire. Un père abuseur.

Quant à ma mère, elle déambulait dans une nébuleuse fusionnelle, me considérant comme le prolongement d’elle-même. J’étais elle, sa chose, son sexe. En me donnant du plaisir sexuel, c’est elle qu’elle masturbait.

Ma mère n’aurait jamais concédé à mon père le droit de s’immiscer entre nous, ni lui, ni aucune femme, ni personne. Grande Prêtresse de l’exclusivité absolue, drapée dans sa folie de toute puissance, elle régentait toute ma vie, considérant l’humanité tout entière comme sa rivale, me réduisant à l’état de macchabé soumis et servile.

Je ne voyais pas bien comment, avec ces repères parentaux, j’aurais pu être père.

Et pourtant…

Je suis devenu père à l’aide de solides renforts : le GIGN de la parentalité, les stars de la bienveillance, la Brigade Anti Criminalité en charge des lois de l’inceste, les forces spéciales de la parentalité positive. Et surtout, je n’étais pas seul. Je ne vous ai encore jamais parlé d’elle, par pudeur, par égoïsme, par lâcheté. Elle, la mère de mes deux filles, armée de la plus grande douceur, équipée d’un bon sens dernier cri et de connaissances à la pointe de la psychologie.

Sur ma table de chevet, Françoise Dolto s’affale aux côté de Philippe Jeammet, Isabelle Filliozat, Thomas Gordon, Brazelton, Jacques Salomé, Marcel Rufo...

Toutefois, mes plus précieux renforts sont indéniablement la mère de mes enfants et mes filles elles-mêmes. Elles ont acquis l’arme fatale : l’humour.

Elles rient de bon cœur de ma pudeur extrême et me taquinent à coups de mots prohibés tels tampons, hygiène intime, menstruations ou relation sexuelle.

Plus je râle et me trémousse sur ma chaise, mal à l’aise, plus elles me taquinent en riant.

Une fois, comble de l’horreur, j’ai trouvé une serviette hygiénique peinte de couleurs flamboyantes sous ma couette.

Une autre fois, une grappe de préservatifs flageolants pendait mollement à ma brosse à dent. J’ai rendu la pareille en les dissimulant dans leurs chaussons, tasses de petits déjeuners, sacs à main et ce petit jeu a duré des semaines, sans jamais être évoqué verbalement.

Une autre fois, alors que tintait déjà la douce mélodie de clochette en cristal qu’est le rire de ma cadette, mon aînée me proposa d’aller voir au théâtre « Les Monologues du Vagin ». Avant de pouffer comme un poney.

Le pire aura été lorsque, tout droit sortie de la douche, les cheveux mouillés, elle se planta devant moi en peignoir, me laissant supposer qu’elle était nue dessous et qu’elle l’ouvrit brutalement, laissant apparaitre son corps vêtu d’un tee-shirt et d’un short mi-cuisse. A ma mine déconfite et horrifiée, mes deux filles hilares se tordaient de joie.

Chipie est un euphémisme.

Mais ne vous méprenez pas. Je ne suis pas que ça.

Je n’ai jamais manqué un de leur gala de danse, ni une réunion de parents d’élèves. J’ai hurlé à leurs matchs jusqu’à en perdre la voix. J’ai pleuré intérieurement à chacun de leur chagrin et partagé leurs bonheurs. J’ai joué à la poupée, à la dinette et je me suis déguisé en fée Clochette.

Je les ai valorisées, encouragées, soutenues.

Et elles sont magnifiques, à l’intérieur comme à l’extérieur.


bottom of page