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Comment je me sens ?

Comment est-ce possible ?

Pourquoi l’être humain, victime de violences sexuelles, traine-t-il ce lourd fardeau de culpabilité, plein à craquer de terreurs ?

J’ai presque cinquante ans et je suis terrorisé comme un gamin de dix ans à l’idée d’être moqué sur ce blog, jugé, insulté. J’imagine les pires railleries, le poids des calomnies et cette honte de moi-même aux dents acérées, si féroce, qu’elle me phagocyte puis me dévore.

J’ai aussi peur de vous salir et de vous souiller avec mes ignominies, comme un lépreux infecterait son entourage.

J’ai peur que vous me trouviez répugnant.

J’ai peur de susciter la cruauté.

Et pourtant, aucune de ces terreurs ne m’entrave. Rien ne m’arrêtera. Je suis comme ça, froussard et déterminé, grignoté par l’angoisse et audacieux, lâche et intrépide.

Je personnifie le paroxysme du paradoxe, dans bien des domaines. Je suis la contradiction, le tout et son contraire, le noir et le blanc, tout à la fois, fragmenté, morcelé, émietté.

Intellectuellement, j’ai parfaitement conscience de l’aberration de mes ressentis. Je sens la souillure jusqu’aux tréfonds de mon corps mais je ne suis pas sale. Je me sens coupable, par un mécanisme d’identification à ma mère mais je sais que je ne le suis pas. J’ai la sensation d’avoir déversé sur vous tout le purin et la putréfaction en moi mais je sais que je ne vous ai pas sali. Je porte la honte mais ce n’est pas moi qui suis supposé avoir honte.

Pourtant…

L’irrationalité est ma compagne de route.

Le jour de ma naissance, j’ai gobé le monde entier puis, quelques décennies plus tard, je l’ai vomi en longs jets chauds et nauséabonds. C’est fou ce qu’on peut ingurgiter comme saloperies quand on est projeté dans l’existence. Ça vous reste sur l’estomac parfois toute une vie si on n’y fait pas gaffe.

La digestion s’est opérée lentement durant mon voyage sur les flots de ma thérapie au long court. J’ai mâché, goûté, dégusté ou régurgité ce que j’avais englouti, poussé par le souffle bienveillant de mes psys. Après avoir été gavé comme une oie, j’ai minutieusement trié le contenu de mon appareil digestif.

Je suis issu d’une famille modèle, maintes fois citée en exemple, aux principes éducatifs rigoureux et rigides. Solidement ancrés dans la société, mes parents éblouissaient leurs congénères de reflets en trompe l’œil et les éclaboussaient de mille étincelles d’imposture.

Ma Sainte-Mère, infirmière de son état, a dédié sa misérable existence aux soins. Ma mère vénère les soins corporels, c’est indéniable. Elle honore principalement vos parties les plus intimes.

Quant à mon père, chef d’entreprise respecté, il incarnait le patriarche suprême, l’ancre familiale, le roc inébranlable sur lequel tout le système familial reposait en paix.

Mes parents étaient les danseuses étoiles de l’illusionnisme, des dramaturges aguerris, adulés par la société.

Quelle bande d’enfoirés !

Au sein de ce simulacre d’utopie, ma génitrice a mis bas à l’image de sa fécondation fortuite et fort regrettable.

Certes, elle m’a donné la vie mais elle ne m’a jamais mis au monde. Elle m’a fracassé le nez contre lui pour que je m’imprègne de sa puanteur mais elle ne m’a pas appris à m’en écarter un peu, comme on s’éloigne d’un tableau, pour en apprécier toute la beauté, pour en saisir l’intégralité, pour mieux l’appréhender.

Je suis resté trop longtemps fusionné, à ses désirs, à ses croyances et à ses vices, englué dans une sorte de syndrome de Stockholm, suspendu au seul lien dont je disposais : le nôtre.

Mon père, ce fantôme diaphane, se cantonnait au rôle de témoin silencieux et passif des abus de ma mère : un complice inerte.

Je n’avais qu’elle. J’étais une Chose indifférenciée de son corps, un objet en sa possession.

Je suis enfin sorti de ma torpeur à l’aube de la maturité, escorté de mes différents thérapeutes, lampe frontale vissée au crâne, pour éclairer les méandres de mon inconscient.

Jusqu’à cette descente en spéléologie dans les entrailles de mon passé, je me sentais responsable de tous les abus subis dans mon enfance et adolescence. Tout était de ma faute.

Et puis quoi ? J’avais quand même pris mon pied ! J’avais éjaculé dans les mains de ma mère.

Quel pervers ! Je me suis identifié à la perversion de ma mère, je suis devenu le monstre à sa place et l’ai idéalisée.

Comment aurais-je pu survive autrement ?

J’étais à la fois fasciné et anéanti.

Fasciné parce qu’elle me manipulait, m’hypnotisait, me séduisait, me faisait croire que tout était normal et bon pour moi.

Et anéanti paradoxalement par la honte, une honte à l’époque obscure et indéchiffrable.

J’étais sidéré, englué par le déni puis l’amnésie. Comme il est étrange et puissant ce mécanisme de défense qui consiste à oublier et nier la gravité des faits. Au fil du temps, j’ai enfoui toutes ces atrocités dans les sinuosités de ma mémoire. Quant à celles restées en surface, je les ai banalisées, m’octroyant ainsi le droit à une parodie de sérénité et d’équilibre mental. Une farce. Une bouffonnerie burlesque. Une imposture.

Tout mon être était envahi de sensations auxquelles il n’était pas préparé, ni corporellement, ni psychiquement. Des sensations qui ne correspondaient pas à mon développement. Je recherchais de la tendresse, de la protection, de l’amour. Je recevais du sexe.

Pour moi, l’amour et le sexe sont un magma indifférencié.

Pour moi, aimer, c’est baiser.

Mon abuseur était tendre sexuellement avec moi. J’ai eu du plaisir. J’avais le sentiment d’être très précieux, puissant, d’occuper une place de choix, d’être vénéré grâce à mes organes génitaux et j’en étais fier. Fier et honteux.

J’ignorais si j’étais consentant ou pas. J’étais trop jeune.

Je ne savais pas que ce n’était pas normal.

J’avais peur de perdre son amour.

J’avais confiance : elle était supposée me protéger.

Les colonies de vacances, aller dormir chez un ami, tout ceci était religieusement banni de mon existence. J’aurais pu COMPRENDRE, comprendre avec effroi que je demeurais chez le Mal incarné.

Mais aurais-je eu le courage de le voir ?

Plus ma mère défaillante abusait de moi, plus je l’idéalisais, par instinct de survie. La voir telle qu’elle était aurait été trop dévastateur, trop déstructurant.

Mon ciel se serait déchiré en une douleur atroce et ses lambeaux m’auraient lacéré avec fracas. Tout mon monde se serait effondré. Y aurais-je survécu ?

Au lieu de cela, pendant que je prenais mon pied dans ses mains, j’offrais à ma sainte-Mère mon corps en pâture et me réfugiais dans la douce sécurité de mon cerveau. Une tâche au plafond absorbait toute mon attention, un souvenir, un son, un lieu inventé, imaginaire. Je n’étais plus là.

J’ai préservé une partie de moi en me réfugiant et en me coupant de moi-même. J’étais là où elle ne pourrait jamais m’atteindre, dans ce qu’elle ne pourrait jamais me prendre : mon imagination. Elle m’a volé mon âme, mon essence, elle a assujetti et aliéné mon esprit mais elle n’a jamais pu accéder à ce refuge vital en moi, ma véritable intimité.

Mais en me dissociant, je me suis coupé de la réalité. Mon sexe hébété éjaculait dans une douce léthargie et mon esprit musardait dans les sinuosités de mes extravagantes fabulations. J’ai forgé mes propres chimères, psychotiques, clivées, morcelées.

Je suis devenu fou.

Aujourd’hui encore, je ne suis pas très net.

Aujourd’hui encore, il m’arrive d’esquiver mes émotions, de me dissocier.

Je plonge alors dans une hyperactivité salvatrice et une sexualité débridée. Je n’ai ni le temps, ni l’envie de ressentir ma souffrance.

Tapi dans l’excès d’actions, je me vautre dans la quiétude de l’évitement.

Autre esquive : pour m’abstenir d’être consumé jusqu’à la mort par le brasier de la dépression, j’ai travesti ma tristesse en colère et en agressivité. Tout était préférable à l’incommensurable solitude et tristesse qui me dévoraient tout cru et saccageaient mon existence.

Si je m’étais autorisé à être triste, j’aurais été seul, encore plus seul. J’ai choisi inconsciemment des relations sexuelles immodérées et excessives ainsi que la rage et l’agressivité plutôt que d’affronter ma solitude.

Cette agressivité brouillait mes relations mais c’était le seul moyen, avec le sexe, que j‘avais trouvé pour être en lien avec l’autre.

Prisonnier d’une dissension interne « J’aime ma mère/je la hais », mon corps rugissait son besoin de vengeance. Je ne pouvais déverser sur ma Sainte-Mère toute la rage accumulée dans ses mains. Elle était mon tout, ma vie, ma respiration. Toute cette rage prohibée par les lois de mon amour pour elle a giclé à mon insu dans mes amours. J’étais un éjaculateur précoce. Ma jouissance ultime consistait à frustrer ma partenaire et de prendre mon pied.

J’étais devenu aussi sadique et pervers que ma Sainte-Mère. Un nazi du sexe, prêt à torturer toutes les femmes avec haine. Prêt au gynocide. Tellement pervers que les disputes d’amoureux me faisaient bander. Plus l’altercation était violente et plus je bandais dur, immergé dans un océan de solitude extrême mêlé de plaisir sadique.

Un vrai fou furieux. Le visage déformé par la haine, j’explosais dans des irruptions de rage intenses, projetant les scories de ma violence verbale et physique sur ma victime sidérée, ne lui laissant aucune chance d’échapper au volcan en feu que j’étais.

Je passais du rire à la rage en quelques secondes, de la rage aux sanglots, des sanglots à l’angoisse dans la même impulsion. Mes émotions tournoyaient à une allure folle, elles me laissaient nauséeux et perdu dans une succession folle de sensations toutes plus disproportionnées les unes que les autres. Lunatique serait un euphémisme pour me décrire.

Mais au moins, ces délires émotionnels venaient camoufler mon sentiment permanent de vide intérieur.

J’étais vivant. Très vivant. Et vidé.

Je me sens puant et obscène à vous raconter le monstre que j’étais alors.

Aujourd’hui encore, je me lave beaucoup trop. Je me sens sale.

J’ai peur de vous salir et de vous détruire avec mes odeurs nauséabondes.

J’ai peur de vous contaminer avec mon abjection.


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